Droit de grève et liberté syndicale

, par udfo53

DES DROITS PROTÉGÉS PAR LA CONSTITUTION

A l’occasion de deux arrêts rendus les 15 décembre 2009 et 13 janvier 2010, la Cour de cassation est venue rappeler, à ceux qui l’avaient oublié, que le droit de grève et la liberté syndicale sont des droits protégés par la Constitution et plus particulièrement par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (art. 6 et 7).

Dans la décision du 15 décembre 2009, la Cour de cassation est venu préciser que « sauf dispositions législatives contraires, l’employeur ne peut s’arroger le pouvoir de réquisitionner des salariés grévistes » (Cass. soc., 15 décembre 2009, n°08-43.603). En d’autres termes, il n’appartient pas à l’employeur de réglementer le droit de grève, seule la loi peut le faire. En l’absence de loi, aucun motif particulier ne justifie qu’il soit porté atteinte à ce droit garanti par la Constitution, pas même un impératif de sécurité.

En l’espèce, un salarié avait fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire pour avoir refusé de déférer à la convocation de l’employeur pour participer au service minimum de sécurité alors qu’il était gréviste. La Cour d’appel avait validé cette sanction au motif que la société était soumise à la législation sur les installations classées et qu’elle figurait parmi les points et réseaux sensibles pour la Défense nationale, l’employeur n’avait donc pas limité abusivement l’exercice du droit de grève en réquisitionnant, selon les stipulations du règlement intérieur, le salarié gréviste afin qu’il participe à un service minimum de sécurité.

La Cour de cassation censure cette décision au visa de l’article 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Cet article précise que le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent. Dans notre affaire, l’employeur ne tenait d’aucune disposition législative le droit de réquisitionner des salariés grévistes pour assurer un service minimum de sécurité. Même si l’entreprise est classée dans les exploitations à risques, ce classement ne permet pas à l’employeur d’instaurer un service minimum de sécurité en l’absence d’un texte de loi l’y autorisant expressément. Dans une précédente décision, la Cour de cassation avait déjà jugé que le juge des référés ne pouvait dans le cadre de ses pouvoirs en matière de dommage imminent consécutif à l’exercice du droit de grève, ordonner la réquisition de salariés grévistes pour des motifs de sécurité (Cass. soc., 25 février 2003, n°01-10.812).

Si l’employeur veut réquisitionner des salariés grévistes, il ne peut que se tourner vers le préfet, celui-ci pouvant lorsque les conditions de l’article L.2215-1 du Code général des collectivités territoriales sont remplies réquisitionner du personnel.

Dans la décision du 13 janvier 2010, la Cour de cassation est venu indiquer que l’employeur ne peut, face à une opposition des organisations syndicales, sans porter atteinte à la liberté syndicale, déplacer d’office sans autorisation judiciaire préalable le local syndical (Cass. soc., 13 janvier 2010, n°08-19.917 et n°08-19.955, PBR). En d’autres termes, l’employeur ne peut déplacer un local syndical qu’avec l’accord des syndicats ou si une décision de justice l’y autorise.

En l’espèce, une entreprise avait déménagé des locaux syndicaux d’office sans autorisation judiciaire à l’extérieur de la zone de travail. Considérant le déménagement comme illicite, les syndicats demandaient à être réintégrés dans leurs anciens locaux. La Cour d’appel rejetait la demande des syndicats prétextant que « l’employeur peut déterminer librement l’emplacement des locaux syndicaux et que si les syndicats refusent le transfert de leurs locaux d’un emplacement à un autre, aucun texte ne soumet ce transfert à un accord préalable et qu’exiger une autorisation judiciaire sur un fondement purement prétorien est en contradiction absolue avec le pouvoir reconnu à l’employeur de déterminer librement l’emplacement des locaux syndicaux ».

La Cour de cassation censure cette décision au visa de l’article 6 du préambule de la Constitution de 1946, relatif à la liberté syndicale. Le juge ne peut autoriser le déplacement d’un local syndical que s’il constate que le nouveau local présente des avantages équivalents aux anciens et permet le libre exercice du droit syndical. Constatant que les déplacements des délégués syndicaux ou des salariés pour aller de leur lieu de travail au local syndical, ou en revenir, les obligeaient à passer sous un portique de sécurité, à présenter un badge et éventuellement à subir une fouille, et que l’employeur n’alléguait pas que le maintien du local syndical dans la zone de travail était impossible, la Cour d’appel ne pouvait, sans violer l’article 6 du préambule de la Constitution de 1946 et les articles L.2141-4 et L.2143-20 du Code du travail ensemble, juger que le déplacement du local syndical ne portait pas atteinte à l’activité syndicale. Les syndicats pouvaient donc exiger d’être réinstallés dans leurs anciens locaux.