Représentativité

, par udfo53

Les confédérations ouvrières ont arraché progressivement le droit d’engager, par leur signature, les travailleurs dans des accords collectifs de travail. Ce droit a été précédé par le fait : les travailleurs ont constitué ces organisations pour défendre eux-mêmes leurs intérêts, dans la grève comme dans la négociation. Après la Libération, cette position de force a été officialisée et reconnue par les pouvoirs publics. C’est ce qui, aujourd’hui, est remis en cause par le gouvernement, le patronat, la CGT et la CFDT.

Comment les syndicats ont conquis leur capacité à représenter les salariés

Les syndicats, organisations que les salariés ont constituées il y a plus d’un siècle pour se défendre et bâtir le progrès social, vont-ils devenir des machines électorales ? C’est en tout cas ce que prévoit la loi du 20 août 2008. Le débat a été ouvert. Nous souhaitons donner à cette question sa dimension historique. Une manière de fixer les enjeux, alors que les fondements mêmes du mouvement ouvrier semblent oubliés.

Remontons donc aux lendemains de la Révolution française, à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle. Trois philosophes présocialistes, les Français Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint Simon (1760-1825), Charles Fourier (1772-1837) et le Gallois Robert Owen (1771-1858), se retrouvent sur une même idée : les droits politiques seuls ne peuvent pas établir une vraie liberté sociale, c’est-à-dire, suivant l’expression de Charles Fourier, à les émanciper « de la misère et de la servitude économiques ».

Ces théories s’appuient sur le mouvement réel des travailleurs salariés qui, peu à peu, s’organisent en sociétés de secours mutuels puis en syndicats. Des rapports de forces s’établissement, à la faveur de grèves conclues par des accords où les représentants des syndicats engagent leurs camarades de travail, à la fin des conflits. Ainsi naît, dans une lutte des classes parfois âpre, l’idée que les syndicats de salariés ont la capacité de représenter la classe ouvrière.

Une dizaine d’années avant la Commune de Paris de 1871, cette idée de représentativité a fait son chemin. Mais s’agira-t-il d’une représentation purement politique ou uniquement syndicale ? Deux écoles s’affrontent. Pour les blanquistes, guesdistes, allémanistes et broussistes, et les courants (Parti ouvrier français, parti socialiste de France, Parti socialiste français, Parti socialiste unifié) qui, en s’unifiant plus tard, finiront par fonder la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière), la représentation doit être politique. Les prolétaires doivent quitter la mouvance politique républicaine pour rejoindre les partis ouvriers en création.

Pierre Joseph Proudhon (1809-1865) a été élu député en juin 1848 à l’Assemblée Nationale de la Seconde République. Mais face à la répression de juillet 1848 des ouvriers parisiens, il quitte le champ du politique. En avril 1863 il publie la brochure « les démocrates assermentés et les réfractaires », recommandant l’abstention ouvrière aux élections de la fin mai 1863. Le 17 février 1864 le « manifeste des soixante », signé par des prolétaires, annonce des candidatures politiques purement et totalement ouvrières. Ils demandent toutefois son avis à Proudhon . Il leur répond clairement. Le Franc-Comtois reconnaît le droit des ouvriers à une représentation qui leur soit propre, mais persiste à leur recommander l’abstention aux élections du 8 mars 1864. C’est la période où il rédige « De la capacité politique des classes ouvrières », publié juste après sa mort survenue le 19 janvier 1865 ;

Sur les conseils de Proudhon, le Manifeste des soixante devient un plaidoyer de la cause de le représentation ouvrière, un des textes fondateurs du mouvement ouvrier, trop peu connu. En introduction ils déclarent « nous ne sommes pas représentés », et se prononcent pour l’autonomie de la classe ouvrière, ajoutant : « il ne suffit pas d’avoir réalisé l’égalité de tous devant la loi pour résoudre la question ouvrière ». Comme on le voit, nous sommes là dans une conception éloignée de la représentativité des syndicats telle qu’on l’entend aujourd’hui, celle qui les rend aptes à signer des accords.

Le second empire de Napoléon III industrialise la France à marche forcée. Les campagnes commencent doucement à se vider, les ateliers et les usines à se remplir. Les vagues de grèves de 1862-1864, illégales à l’époque, débouchent sur la loi Ollivier du 25 mai 1864, qui reconnaît le droit de coalition. Mais sa portée est limitée car les nouveaux « coalisés » n’avaient pas le droit de se réunir dans un local qui leur fût propre. Ils se retrouvaient donc dans les estaminets. D’ailleurs ce que les patrons nomment les atteintes à la liberté du travail sont lourdement réprimées. En 1867, Napoléon III autorise la présence d’une délégation ouvrière à l’exposition universelle de Paris. C’est une sorte de reconnaissance tacite des organisations ouvrières qui commencent à se fédérer : chambres syndicales, bourses du travail, qui plus tard donneront naissance à une CGT de plus en plus forte. L’échec de la Commune de Paris va ralentir l’organisation et la représentation du prolétariat. La loi Dufaure de 1872 abroge la loi Ollivier de 1864. La grève est de nouveau interdite. L’état de siège sur Paris est maintenu jusqu’en 1876. Trente mille communards ont été massacrés, des milliers d’autres déportés en Nouvelle Calédonie (Louise Michel entre autres) et en Algérie.

La reconnaissance

Le 21 mars 1884, la loi Waldeck-Rousseau abroge la loi contre les associations ouvrières. Les ouvriers créent leurs syndicats, mais à l’extérieur des usines et des ateliers. Cette loi rencontre d’ailleurs la méfiance de certains militants qui y voient une manœuvre de l’Etat pour mieux contrôler le mouvement ouvrier et s’immiscer dans son action. D’autant que, souvent les ouvriers qui prennent au pied de la lettre la loi Waldeck-Rousseau en fondant des syndicats d’entreprises, sont aussitôt licenciés par les patrons « de droit divin ».

A partir de 1887, les bourses du travail se multiplient et assument leur rôle social, moral, éducatif et revendicatif. Dans leurs locaux, des services de mutualité sont mis en place : bureau de placement, aide aux chômeurs, aux malades, aux accidentés du travail, cours du soir, professionnels ou d’enseignement général, pour toutes les générations. Des instituteurs laïcs se mettent au service des syndicats ouvriers. Les bourses s’occupent aussi de la propagande et de la création de syndicats de branches, d’entreprises mais aussi de la résistance ouvrière (organisation et financement des grèves).

Fernand Pelloutier (1868-1901), élu par ses pairs Secrétaire général de la Fédération des Bourses du travail, revendique leur indépendance complète et s’attache à remplacer « l’égoïsme corporatif par la solidarité professionnelle ».

Le 15 mai 1891, le pape Léon XIII publie l’encyclique « rerum novarum » sur la condition ouvrière. L’église, à cette époque, est très tournée vers son passé royaliste. Mais certains penseurs catholiques prennent conscience de la misère ouvrière et pour certains des dangers qu’elle peut faire courir à la société. Le pape écrit : « la richesse a afflué entre les mains d’un petit nombre et la multitude a été laissée dans l’indigence ». Cette encyclique ne tombe pas comme un cheveu dans la soupe. Il s’agit en fait de contrer le syndicalisme marqué par la laïcité, mais aussi par la reconnaissance de la lutte des classes. Cela va conduire, en 1919, à la fondation de la CFTC (Confédération Fédérale des travailleurs chrétiens). Désormais la France a deux syndicats : la CGT et la CFTC.

Cependant le problème de la représentativité ne date pas de cette époque. Si certaines catégories des classes dominantes veulent mettre en avant un syndicalisme moins conflictuel, la représentativité n’est pas, à l’époque, une question électorale. La première convention collective est signée en 1891 dans les mines du Nord et du Pas de Calais. Mais, constatant que les syndicats sont encore trop dispersés, le 28 septembre 1895, 28 fédérations, 26 chambres syndicales et 18 bourses du travail, s’unissent pour fonder la CGT, réunissant 300 000 membres sur les 420 000 syndiqués français. Les confédérés gravent dans le marbre de leurs statuts que « les éléments constituant la confédération générale du travail devront se tenir en dehors de toutes les écoles politiques. La CGT a exclusivement pour objet d’unir sur le terrain économique et dans les liens d’étroites solidarités, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale ». La jeune CGT représente, de facto, tous les salariés, sans distinction d’opinions. En effet, la Charte d’Amiens, votée le 13 octobre 1906, « affirme avec vigueur le principe de l’indépendance du syndicalisme à la fois devant le patronat, devant les partis politiques et devant l’Etat ». En 1910, la CGT compte 76 fédérations et la première édition du Code du Travail voit le jour. En 1912, les Bourses du travail fusionnent avec les Unions Départementales, qui deviennent ainsi les représentantes des salariés, devant chaque préfet et devant les instances patronales.

La loi sur les assurances sociales

1919 est une année importante. La CGT arrache nombre de conventions collectives. Après la Grande Guerre, les ouvriers sont en position de force, vu le manque de bras. Et puis la notion d’organisation représentative apparaît pour la première fois, au traité de Versailles, au sujet de la désignation de délégués non gouvernementaux à la Conférence internationale du travail, dans le cadre de l’Organisation internationale du travail qui vient d’être créée.

En droit français, un décret de 1921 opère une distinction entre les syndicats selon le nombre d’adhérents pour les désignations au Conseil Supérieur du Travail. C’est aussi en 1921 que les syndicalistes communistes quittent la CGT au congrès de Lille. Ils votent contre la confirmation de la Charte d’Amiens et s’inféodent au jeune PCF qui, un an plus tôt, a quitté la SFIO au congrès de Tours. Les communistes fondent alors la CGT Unitaire.

Cependant la CGT, forte d’une influence qui n’a pas vraiment été entamée par le départ de la CGT-U, fait voter deux lois sur les assurances sociales, en avril 1928 et avril 1930, avec la création des CIAS (Caisses interdépartementales des assurances sociales).

Le vote définitif de la loi sur les assurances sociales a lieu le 30 avril 1930 et entre en application le 30 juin, après dix années de débats, durant lesquels la CGTU les a dénoncées, alors que la CGT les a soutenues. Une double cotisation, patronale et salariale, abondée par l’État, obligatoire pour les salariés gagnant plus de 15 000 francs par an finance ces assurances. Au-delà de la maladie, les assurances sociales couvrent aussi les champs de la vieillesse, de l’invalidité prématurée et du chômage involontaire. Pour cet acquis historique, personne n’a jugé utile de demander à ce que la représentativité de la CGT fût instituée par des élections auxquelles auraient participé des non-syndiqués. C’est pourtant cette conquête qui préfigure la Sécurité Sociale de 1945.

En 1936, un décret élargit celui de 1921 sur la représentation au Conseil économique et une loi est votée « déterminant les conclusions des conventions collectives susceptibles d’extension ». Cependant, la CGT n’obtient pas satisfaction sur l’importante question des élections des délégués d’ateliers, ancêtres des délégués du personnel. La CGPF (confédération générale du patronat français), ancêtre du MEDEF, fait passer l’idée selon laquelle ces délégués doivent être élus par tous les salariés, sans considération d’appartenance syndicale. L’idée est judicieuse pour le patronat, car malgré le séisme des grèves de mai-juin 1936, le chef d’entreprise reste tout puissant dans les usines et les ateliers. Avec les contremaîtres, les patrons ont tout loisir pour présenter des délégués d’ateliers de leur choix et faire pression sur les employés.

Le 9 novembre 1940, Vichy dissout la CGT et la CFTC. Ces militants passent rapidement à la Résistance, surtout dans les mines du Nord, rejoints par les communistes après l’attaque de l’URSS par les armées hitlériennes. Le 18 août 1944, la CGT et la CFTC fondent un « Comité interconfédéral d’entente syndicale », qui lance un appel à la grève générale, hâtant la libération du pays.

Les changements de la libération

Programmée par le Conseil national de la résistance (CNR) la représentation du personnel est mise en œuvre par la circulaire Parodi du 28 mai 1945.

En 1947, le paysage syndical change. A la CGT, les responsables du Parti communiste prennent de plus en plus de postes à responsabilités et conduisent à la stalinisation de la centrale. Le 18 décembre 1947, les ex-confédérés, autour de Léon Jouhaux et de Robert Bothereau, fondent la Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO).

En 1946, trois confédérations avaient été reconnues officiellement représentatives : la CGT, la CFTC et la CGC, fondée depuis peu pour les cadres. Le décret du 8 avril 1948 prend acte de la fondation de la CGT-FO, qui répond aux critères du CNR, et l’incorpore à la liste des confédérations représentatives.

En 1964 le courant « Reconstruction » de la CFTC obtient de son congrès la déconfessionnalisation de la centrale qui devient CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail). Un arrêté du 31 mars 1966 intègre cette nouvelle confédération dans les organisations syndicales représentatives, tout en y laissant la CFTC, car certains militants refusent l’abandon de la référence chrétienne.

Ainsi ce fameux arrêté de 1966 n’a rien d’un acte arbitraire du gouvernement. Il prend en compte les scissions intervenues dans les deux centrales historiques. Il ne doit rien non plus à l’action du patronat, contrairement à la loi du 20 août 2008, qui entend aujourd’hui modeler le paysage selon des impératifs étrangers à la volonté des salariés.

C’est la loi du 11 février 1950 qui entérine que « les critères de la représentation sont intégrés officiellement au Code du Travail sous l’article L.133-2. Par ailleurs « l’existence et l’étendue du pouvoir de représentation dépendent du législateur » (article L411-1 du code du travail). La représentativité est définie en trois points :

  Compétence reconnue aux syndicats d’être les porte-parole des salariés ;
  Aptitude d’un syndicat à exprimer les intérêts collectifs d’un groupe professionnel ;
  Qualité qui permet au syndicat représentatif de s’exprimer au nom de tous les travailleurs de l’unité de négociation à qui l’accord est destiné à s’appliquer.

Avec mai-juin 1968 bien des choses vont changer. Le 13 mai, une grève et une gigantesque manifestion, à l’appel de la CGT, de la CFDT, de FO, de la FEN et de l’UNEF, font vaciller le pouvoir gaulliste. La grève commence à Sud-Aviation Bouguenais, dans la Loire-Atlantique, à l’appel de FO. La grève s’étend à d’autres sites industriels et devient générale, atteignant un point culminant le 20 mai, avec ses dix millions de grévistes. Les accords de Grenelle sont obtenus le 27 mai. Les acquis sociaux sont importants :

  40 heures de travail hebdomadaire ;
  Quatrième semaine de congés payés ;

Enfin pour le droit syndical dans l’entreprise, les confédérations obtiennent ce qui leur avait été refusé en 1936. Elles peuvent nommer elles-mêmes un délégué syndical et un représentant syndical au comité d’entreprise et constituer une section syndicale d’entreprise. Ces délégués ne sont pas élus par les non-syndiqués ou par les membres d’autres syndicats. Ils sont choisis, selon des modalités que le syndicat définit lui-même, démocratiquement, parmi ses membres.

En outre, seuls les syndicats reconnus représentatifs peuvent présenter des candidats au premier tour des élections de délégués du personnel (DP) et des membres du comité d’entreprise (CE). Ces organisations, reconnues représentatives sur le plan national, sont seules habilitées à discuter avec le chef d’entreprise des modalités des élections.

Ce sont ces acquis de 1895, 1919, 1945, 1948 et 1968 qui sont aujourd’hui remis en cause par la fameuse « position commune » adoptée en avril 2008 par la CGT, la CFDT, le MEDEF et la CGPME. Ce texte réussit un tour de force assez étonnant. Il sera approuvé chaleureusement par le gouvernement, qui se hâtera de le faire adopter par le Parlement, le transformant en une loi du 20 août 2008. Mais, plus extraordinaire encore, il a donné au patronat la possibilité exorbitante de modeler à son gré le paysage syndical du pays : ses représentants n’ont jamais caché qu’ils considéraient que le nombre des syndicats était trop grand et qu’ils espéraient bien que la réforme de la représentativité allait le réduire, en écartant ceux qui obtiendraient moins aux élections professionnelles.

Les bouleversements qui découlent de ce procédé n’ont pas fini de se faire sentir, dans bien des domaines. Pour les salariés eux-mêmes le plus important ne s’est pas encore fait entièrement sentir : il s’agit de la possibilité étendue de conclure des accords d’entreprise qui dérogent aux accords de branche, plus protecteurs. Cela ouvre en outre la voie aux syndicats « maison ».

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CONFEDERES OU MAISON, Il faut choisir !

Des jaunes, quel drôle de nom !

Pourquoi pas des vert-de-gris, des beiges clairs ou autre marron. Le terme de « jaune » est historique. En 1889-1890, les 12 000 ouvriers des fonderies du Creusot, en Saône et Loire, ont fait une grève dure et longue. Pour les contrer, Eugène junior Schneider a créé un syndicat maison qu’il a installé dans un local spécial, peint en couleur jaune. D’où le nom.

Il existe d’autres hypothèses sur l’origine de ce qualificatif d’infamie, mais celle-ci rappelle bien le lien entre les briseurs de grèves et les syndicats maison, volontairement isolés du reste de la classe ouvrière et soumis strictement à la volonté du patron.

A la fin du XIXème siècle, le Comité des forges est tout-puissant, avec les Wendel et Legris en Lorraine et les Schneider dans la région lyonnaise. Au Creusot, chez Schneider, en mai 1889 les ouvriers entrent en grève, demandant la reconnaissance du syndicat, la liberté de conscience, la suppression de la police occulte et la gestion des caisses de secours ouvrières. Eugène Schneider a à sa solde une cohorte d’indics et de vigiles. Quand la grève éclate, 3000 ouvriers se syndiquent aussitôt au contrôle des Schneider. La revendication fait tâche d’huile. Les travailleurs de Monceau-les-Mines et Gueugnon rejoignent les grèvistes.

Le gouvernement Waldeck-Rousseau organise des négociations tripartites : préfet, Schneider et ouvriers ; le patron acceptent des délégués d’atelier mais obtient qu’ils soient désignés par lui-même. Il s’agit donc de délégués « jaunes », issus de la maîtrise. Fort de cette première victoire, Eugène le jeune, qui a déjà fait venir au Creusot, grâce à ses amitiés aux ministères de la Guerre et de l’Intérieur, 4000 soldats, gendarmes et policiers, passe à la contre-offensive : 24 grévistes sont arrêtés et vont écoper de 300 mois de prison. En 1899, pour contrer la CGT naissance dans la fonderie, il fonde son syndicat maison avec comme devise « Pax-Labor » (Paix-Travail). Tous les ouvriers doivent y adhérer et surtout dénoncer leurs collègues qui se sont inscrits à la CGT, avec une prime de 50 francs par dénonciation. La réaction est terrible, les ouvriers du Creusot perdent leur bataille et plus de mille d’entre eux seront chassés sans la moindre indemnité.

Un grand patron, Henri Schneider : « L’intervention de l’Etat ? Très mauvaise ! Je n’admets pas un préfet dans les grèves ; c’est comme la réglementation du travail des femmes et des enfants ; on met des entraves inutiles, trop étroites, nuisibles surtout aux intéressés qu’on veut défendre, on décourage les patrons de les employer et ça porte presque toujours à côté. La journée de huit heures ? Oh ! Je veux bien ! dit M. Schneider, affectant un grand désintéressement, si tout le monde est d’accord ; je serai le premier à en profiter, car je travaille moi-même plus de 10h par jour… Seulement les salaires diminueront ou le prix des produits augmentera, c’est tout comme ! Au fond, voyez-vous, la journée de 8 heures, c’est encore un dada (…). Dans cinq ou six ans on y pensera plus, on aura inventé autre chose. Pour moi, la vérité, c’est qu’un ouvrier bien portant peut très bien faire ses 10 heures/jour et qu’on doit lu laisser libre de travailler davantage si cela lui fait plaisir. Cité dans J. Huret, Enquête sur la question sociale : interview d’H. Schneider, 1897.

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LE PROGRAMME DU CONSEIL NATIONAL DE LA RESISTANCE (CNR)

Le programme du CNR a été adopté unanimement le 15 mars 1944 par tous les groupes de la résistance unifiée. Dans le CNR, composé de vingt membres, la CGT et la CFTC étaient partie prenante. Elles représentaient de fait la classe ouvrière. Il est donc logique que les organisations qui en sont issues aient été ensuite reconnues officiellement comme représentatives. Ainsi FO et la CFDT l’ont-elles été, comme la CFE-CGC dont la création est postérieure à la Libération.

Parmi les « mesures à appliquer dès la libération du territoire », le CNR prévoit « la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d’un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale ».

D’autres mesures du plan méritent d’être rappelées, surtout de nos jours. Parmi elles : « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » ; « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques » ; « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat » ; « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».

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Le Conseil national de la Résistance (CNR) fut l’organe qui dirigea et coordonna les différents mouvements de la Résistance intérieure française, de la presse, des syndicats et des membres de partis politiques hostiles au gouvernement de Vichy à partir de mi-1943. Son premier président fut Jean Moulin, délégué du général de Gaulle. Ce Conseil était voulu par ce dernier afin d’unifier les différents mouvements de Résistance qui s’étaient spontanément constitués depuis la défaite et son appel du 18 juin 1940, le lendemain de la demande d’armistice par le maréchal Pétain.

En effet, les mouvements de Résistance, hormis les Francs-Tireurs Partisans (FTP) et autres résistants d’obédience communiste, étaient le plus souvent inorganisés et n’étaient pas suffisamment coordonnés, selon les dirigeants de la France libre. Notamment, nombre de maquis n’entretenaient pas de relations entre eux et ce cloisonnement des mouvements de Résistance empêchait toute action commune organisée, et donc efficace.

Ainsi, Jean Moulin, un fidèle de De Gaulle, devient le représentant du général le 1er janvier 1942 afin d’unifier l’ensemble des mouvements de Résistance. Ce tour de force se produira le 27 mai 1943 avec la première réunion du Conseil national de la Résistance (CNR) qui se tient dans l’appartement de René Corbin, au premier étage du 48 rue du Four, à Paris

Cette première réunion réunit outre Moulin et ses deux collaborateurs, Pierre Meunier et Robert Chambeiron : • les représentants des huit grands mouvements de résistance : o Pierre Villon du Front national, o Roger Coquoin pour Ceux de la Libération, o Jacques Lecompte-Boinet pour Ceux de la Résistance, o Charles Laurent pour Libération-Nord, o Pascal Copeau pour Libération-Sud, o Jacques-Henri Simon pour Organisation civile et militaire, o Claude Bourdet pour Combat, o Eugène Claudius-Petit pour Franc-Tireur ; • s’ajoutent les représentants des deux grands syndicats d’avant-guerre : o Louis Saillant pour la CGT, o Gaston Tessier pour la CFTC ; • et les représentants des six principaux partis politiques de la Troisième République : o André Mercier pour le PC, o André Le Troquer pour la SFIO, o Marc Rucart pour les radicaux, o Georges Bidault pour les démocrates-chrétiens, o Joseph Laniel pour l’Alliance démocratique (droite modérée et laïque), o Jacques Debû-Bridel pour la Fédération républicaine (droite conservatrice et catholique).

Avril 2010