Pouvoir d’achat : la bataille des chiffres

, par udfo53

Chacun le sait, le ressent chaque jour : depuis le début dela crise économique actuelle, le pouvoir d’achat baisse, sauf pour les catégories les plus aisées de la population. D’après le baromètre Sofinscope, les Français estiment en moyenne qu’il leur manque 540 € par mois pour « vivre correctement ». Selon cette étude, les personnes interrogées imputent leurs difficultés financières à l’augmentation des prix (66 %) et au gel des salaires (28 %). 60 % d’entres elles affirment avoir réduit leurs dépenses de loisirs, mais celles de logement et d’alimentation restent stables.

Les Français souffrent, n’arrivent pas à s’en sortir et pourtant le PIB de la France, c’est-à-dire la production de richesse, n’a « reculé » que deux fois dans la période récente. D’une manière générale, il se maintient ou progresse légèrement.

Alors ? Peut-on dire qu’il y a deux poids deux mesures : une population qui s’appauvrit dans un pays qui s’enrichit ?

Difficile de s’y retrouver dans la guerre des chiffres.

Mais à propos… Qu’est-ce que le pouvoir d’achat ?

Petit rappel préliminaire : le pouvoir d’achat d’un ménage est la capacité d’achat que lui permet l’intégralité de ses revenus disponibles : revenus d’activités, revenus du patrimoine et prestations sociales diminués des impôts et taxes acquittés. Globalement, l’évolution du pouvoir d’achat est liée à celles des revenus et des prix. Si la hausse des revenus est supérieure à celle des prix, le pouvoir d’achat augmente.

Dans le cas contraire, il diminue. Pour la première fois depuis 30 ans le pouvoir d’achat des ménages français calculé par l’INSEE a baissé en 2012 : - 0,9 %. Principales raisons : ralentissement des salaires, hausse du chômage et hausse des prélèvements obligatoires.

Pouvoir d’achat ressenti : 4 années de recul

Selon le BIPE, Bureau d’informations et de prévisions économiques, l’indicateur du pouvoir d’achat des ménages publié par l’INSEE ne rend pas compte de l’évolution de pouvoir d’achat ressenti par les ménages. Certaines dépenses sont en effet perçues comme « contraintes » (loyer, transports, énergies, communications...), ce sont les charges sur lesquelles les familles n’ont pas de prise et dont elles ne peuvent se dispenser.

Le BIPE a donc mis au point un indicateur du pouvoir d’achat ressenti qui permet de rendre compte de la perception du revenu disponible, diminué de l’ensemble de ces dépenses contraintes. Que dit cet indicateur ?

Que le pouvoir d’achat ressenti des consommateurs diminue depuis 2011, et que cette situation se perpétuera en 2013 et 2014, contrairement à ce qu’affirme l’INSEE.

Cela pour deux raison principalement :

• la faible progression du revenu disponible (+0,9% et +1,7% en 2013 et 2014), en raison d’une pression fiscale accrue, d’une situation tendue sur le marché du travail et d’une augmentation limitée des salaires ; +1,7% en 2014 contre 2,2% en moyenne entre 2008 et 2012).

• l’augmentation des dépenses contraintes ; près de 42 % des ressources des ménages en 2012 contre 38,6% en 2000.

Un alourdissement qui va se poursuivre : énergie, logements impôts, cotisations sociales, TVA seront en hausse en 2014.

Cette évolution est inquiétante, d’autant que la réduction du pouvoir d’achat frappe surtout les ménages les plus vulnérables : familles monoparentales, salariés précaires, retraités et personnes seules ont tous subi et subiront encore une baisse notable.

Comment est calculé l’indice des prix : les arguments de l’INSEE

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Pour les statisticiens de l’INSEE, le terme pouvoir d’achat n’a pas le même sens que pour tout un chacun. S’ils admettent qu’une partie des ménages considèrent que l’indice des prix sous-estime la « véritable » hausse des prix, ils expliquent ce décalage par les arguments suivants :

L’indice des prix à la consommation a été conçu pour repérer, chaque mois, les tendances inflationnistes au sein de l’économie. Il s’agit d’un indice représentatif de l’ensemble de la consommation des ménages. Il permet de déterminer l’évolution des dépenses et des revenus au plan national, sert à revaloriser les loyers, les retraites, les pensions alimentaires et les rentes viagères. Il est également pris en compte pour l’indexation du SMIC.

Le chiffre diffusé par l’INSEE est donc une moyenne.

Comme toute moyenne, il amalgame une grande variété des situations individuelles : une hausse du pouvoir d’achat moyen n’est pas contradictoire avec une baisse pour une partie des ménages, et même une forte baisse pour certains d’entre eux.

Les prix relevés pour le calcul de l’indice sont sélectionnés de manière à assurer une bonne représentation des achats courants des Français. Ils tiennent compte des soldes, des promotions et des remises et sont complétés par les tarifs du gaz et de l’électricité, des transports publics, des banques, des services publics, des télécommunications et d’Internet.

L’échantillon est mis à jour chaque année pour tenir compte de l’évolution des comportements et des produits nouveaux.

Cependant, la différence entre l’indice officiel et le ressenti des consommateurs est d’autant plus marqué que les plus fortes hausses concernent principalement des produits fréquemment achetés – alimentation, essence… - et que la baisse du prix de produits comme l’électroménager, les ordinateurs et les télécommunications, moins évident au quotidien, a pour effet de réduire légèrement la hausse globale des prix.

Les spécialistes du consommateur donnent leur version

Juriste du droit de la consommation assurant une permanence en au lieu du conseil juridique à l’AFOC, Association Force Ouvrière de Consommateurs, Flavien Bilquez est bien placé pour formuler les problématiques liées à la consommation les plus courantes.

À propos des baisses de prix des télécommunications, il nous fait remarquer que les factures n’ont pas diminué, seuls les usages ont changé : nous communiquons désormais davantage pour le même prix. Une fois de plus, les données nous font croire à une évolution positive tandis que nos portefeuilles ne sont pas mieux lotis, mais les Français ne sont pas dupes…

Les Français, mais aussi les Européens ! Andrée Thomas, Secrétaire confédérale FO chargée de l’international, nous confirme que « le pouvoir d’achat reste au coeur de tous les débats internationaux, à travers notre lutte pour la valorisation des salaires, la pérennisation de l’emploi et sa qualité ». Car le pouvoir d’achat s’évalue dans une certaine constance, que la précarité et le malaise au travail annulent.

Notre spécialiste de l’international expose également une des revendications principales de la Confédération : l’harmonisation européenne des salaires minimaux.

Actuellement, 7 grands pays européens n’ont pas de salaire minimum. Une législation favorable à une base salariale dans tous les pays de la communauté européenne serait la validation « par le haut » et à grande échelle de la légitimité des demandes au regard des conditions de vie, donc un espoir de favoriser le pouvoir d’achat. Dans cette optique, les instances dirigeantes françaises ont un projet pour relancer la consommation…

Libérer du revenu disponible ?

Le projet de loi relatif à la consommation, très peu médiatisé, a pour objectif de « rééquilibrer les pouvoirs entre consommateurs et professionnels (…) et agir sur les dépenses contraintes des Français pour libérer du revenu disponible ». Voyons, éclairés par l’analyse juridique de Flavien Bilquez, ce qu’il faut retenir de ce texte :

• mesure-phare du projet de loi : l’instauration d’actions de groupe. Actuellement, si vous vous trouvez lésé dans une situation de consommation, seul vous-même pourrez en référer en justice en votre nom propre. Après l’adoption de ce projet, vous pourrez soumettre votre litige à une association nationale agréée de défense du consommateur, qui pourra intenter une action collective en justice. Force Ouvrière soutient cette mesure, mais l’AFOC regrette la limitation des préjudices couverts : le projet propose de réparer les préjudices patrimoniaux mais pas les torts moraux, corporels ou encore liés à l’environnement ;

• en matière de lutte contre le surendettement, le législateur propose la création d’un registre national de recensement des crédits à la consommation, à consulter avant l’octroi d’un crédit. Les spécialistes de l’AFOC soulignent que la cause principale de surendettement reste les accidents de la vie, et non l’excès de crédit. Dès lors, la constitution d’un tel fichier ne changera pas le problème de fond du surendettement ;

• deux avancées bien accueillies par les consommateurs : l’allongement du délai de rétractation de 7 à 14 jours dans le cadre des ventes à distance, e-commerce, et démarchage à domicile…, ainsi surtout que la possibilité de résilier tout contrat d’assurance après 12 mois (actuellement reconduits tacitement pour 12 mois incompressibles).

Flavien Bilquez conclut cependant : « Quelques bonnes perspectives mais, sincèrement, le malaise au regard du pouvoir d’achat est trop profond pour qu’un projet de loi puisse changer le ressenti des ménages ».

À noter que le projet apporte une définition légale du « consommateur » : personne physique agissant en dehors de son activité professionnelle. L’occasion de rappeler que tout litige dans le cadre professionnel est à faire remonter à votre délégué syndical FO, qui saura vous conseiller et vous orienter vers l’instance la plus compétente.

FO à la pointe du combat pour les droits des consommateurs

Dernier élément mis en lumière par Andrée Thomas : la question du logement, « à tous les niveaux : précarité, salubrité, coûts… ». Cet aspect est particulièrement important à analyser dans la mesure où la plupart des indices de prix fournis par l’INSEE pour caractériser l’inflation ne prennent pas en compte le logement. Andrée Thomas cite notamment les étudiants, pour qui le loyer occupe une place de plus en plus importante (700 € en moyenne pour un logement étudiant à Paris !). Il est indispensable de prendre en compte les fluctuations de ces prix pour comprendre ce qu’il se passe avec notre pouvoir d’achat… Un espoir cependant : le projet de loi Duflot, qui devrait amorcer un encadrement du montant des loyers. Ainsi les professionnels les plus proches des consommateurs s’accordent à dire que le ressenti des individus sur leur pouvoir d’achat concorde plus ou moins avec les faits, que ce soit en matière de salaires, d’évolution des prix ou de défense des droits du consommateur : pas ou peu d’améliorations concrètes. Aller vers un mieux-vivre du pouvoir d’achat en faisant revaloriser les salaires et, sinon lutter contre l’inflation, soutenir les droits des salariés en tant que consommateur, c’est la mission que se donne quotidiennement Force Ouvrière à travers les négociations et la mise à disposition de services juridiques comme l’AFOC.

Article rédigé par Olivier Grenot et Émilie Augé FO FGTA Magazine