Les nouvelles technologies dans le commerce

, par udfo53

Il est temps de négocier

Depuis le milieu des années 2000, les experts constatent le développement de deux phénomènes concomitants : la baisse des effectifs dans le secteur de la grande distribution pour la première fois depuis 30 ans, l’introduction de nouvelles technologies portant à la fois sur le back et le front office, les magasins et la chaîne logistique. Ce double mouvement affecte l’ensemble des groupes de distribution et tend à s’étendre des formats les plus impactés (hypermarchés) vers les autres formats (supermarchés et hard discount, la proximité restant pour l’instant peu concernée).

L’impact sur l’effectif salarié et les conditions de travail de l’introduction de ces nouvelles technologies ne fait l’objet d’aucun travail de prospective systématique de la part des directions du secteur. L’existence d’un lien causal entre ces nouvelles technologies et les réductions d’effectifs semble minimisée.

LE RAPPORT RÉALISÉ POUR LA FGTA-FO

La FGTA-FO a pris l’initiative de faire réaliser une étude de l’impact sur le travail et l’emploi de l’introduction de nouvelles technologies dans la grande distribution. Ce rapport a été réalisé par Marlène BENQUET, sociologue du travail.

Il vise à constituer une première base de données à la fois quantitative et qualitative sur l’impact sur le travail et l’emploi des nouvelles technologies dans le secteur de la grande distribution de façon à faciliter l’établissement d’un dialogue national et européen sur cette question.

Les nouvelles technologies relèvent de deux logiques distinctes

Une première logique d’automatisation des tâches de travail permet la réalisation d’un certain nombre d’entre elles par des machines ou par le client. C’est les cas des nouvelles technologies déployées dans le secteur caisse, de la manutention automatique ou des bornes d’accueil électroniques.

Une seconde logique d’informatisation des flux qui impacte l’ensemble des secteurs de la grande distribution en centralisation les flux d’informations et de marchandises. C’est le cas de l’informatisation et de la centralisation de la chaîne logistique, du balisage électronique et de la puce RFID. Utilisées à la fois dans le but de réduire les coûts d’exploitation des magasins et de favoriser le contrôle et la centralisation des flux logistiques, les nouvelles technologies sont aussi pensées et présentées par les groupes comme des vecteurs possibles de l’amélioration du service client par la réduction du temps d’attente en caisse notamment.

LA METHODE UTILISEE

• Phase quantitative

Les données ont été collectées via l’envoi d’un questionnaire à l’ensemble des délégués syndicaux Force Ouvrière implantés dans la grande distribution. 520 questionnaires ont été envoyés (1 questionnaire par magasin où un délégué syndical FO est présent) : 109 questionnaires ont été retournés.

• Phase qualitative Celle-ci a consisté en visites de magasins pourvus de ces nouvelles technologies de façon à observer sur site leur impact sur la volumétrie salariale et les conditions de travail. L’étude s’est focalisée sur dix hypermarchés principaux utilisateurs des nouvelles technologies et sur trois groupes : Carrefour, Auchan, et Casino, principaux consommateurs de nouvelles technologies.

L’ETAT DE PÉNÉTRATION DES NOUVELLES TECHNOLOGIES

Seules 3 nouvelles technologies sont massivement déployées (plus d’un tiers des sites étudiés) : l’informatisation de la chaîne logistique (38% tous formas confondus), le balisage électronique (43% tous formats confondus), les bornes d’encaissement en self check out (51%). En dépit de la médiatisation relative à l’élaboration des puces lRFID et des gains de productivité et de rentabilité potentiels mis en avant par la presse professionnelle, cette nouvelle technologie n’est pour l’instant déployée dans aucun format de magasin. Elle est en revanche déployée dans les entrepôts où elle est présente sur les palettes de produits.

Le format hypermarché est le plus impacté par l’introduction de nouvelles technologies, exceptions faites de l’informatisation de la chaîne logistique qui concerne l’ensemble des formats et du voice speaking qui n’impacte que le format entrepôt.

Si dans le groupe LIDL aucune nouvelle technologie hors logistique n’a été déployée, le groupe Auchan est le plus avancé en terme de taux de pénétration des trois principales nouvelles technologies, suivi par Casino et enfin Carrefour. Les standards automatiques n’ont été massivement déployés que par le groupe Auchan (34% contre 5% pour Carrefour et 11% pour Casino), tout comme les bornes d’accueil électroniques (42% pour Auchan contre 0% pour Carrefour et Casino). En revanche, les pistolets de self scanning n’ont été déployés massivement que par le groupe Casino (33% contre 8% pour Auchan et 3% pour Carrefour).

Néanmoins, la plupart des enseignes d’hypermarchés ont annoncé leur intention d’accélérer le déploiement de ces technologies.

QUEL EST L’IMPACT DES NOUVELLES TECHNOLOGIES SUR L’EMPLOI ?

La diffusion et l’adoption des nouvelles technologies nécessitant un temps important (entre 3 et 6 ans entre le premier test et le déploiement total), les phases de test ou déploiement intermédiaire dans lesquels se trouvent la plupart des nouvelles technologies présentées ne permettent pas de mesurer leur impact final sur le volume de l’emploi. Celui-ci se fera sentir progressivement et dans des proportions que les délégués syndicaux ne sont pas en mesure de connaître actuellement.

Les nouvelles technologies d’automatisation des tâches de travail impactent directement l’effectif salarié puisqu’elles remplacent directement des salariés en poste. Il est donc plus facile de chiffrer leur impact. Les nouvelles technologies d’informatisation des flux impactent en revanche indirectement l’effectif salarié sans pour autant que l’on puisse identifier pour chaque nouvelle technologie le nombre de postes supprimés. La nouvelle technologie ne remplace pas ici directement le salarié, mais induit une réorganisation des processus de circulation de l’information et des marchandises moins consommatrice de main d’oeuvre.

QUELQUES CONSTATS INQUIÉTANTS

Les effectifs salariés diminuent dans les formats où les nouvelles technologies sont le plus massivement déployées. Le déploiement des nouvelles technologies étudiées intervient dans un contexte de ralentissement de la croissance des effectifs du secteur. De 2002 à 2006, les effectifs ont augmenté de 4,3% mais les données du rapport de branche, comme celles de l’INSEE ou de l’UNEDIC, montrent un ralentissement de la progression entre 2001 et 2004, avec même une très légère baisse des effectifs (- 0,09%) en 2004.

Le format hypermarché est le plus touché par ce ralentissement. Il connaît depuis 2008 une croissance négative (-0,3%) après avoir vu ses effectifs progresser de 60% entre 1992 et 2006. Cette baisse intervient nombre moyen de salariés par magasin tend donc à baisser.

Les délégués syndicaux sont 79% à penser que l’introduction de nouvelles technologies a engendré une réduction des effectifs salariés dans leur lieu de travail. Pour les bornes d’encaissement self check out et les pistolets de self scanning, ils estiment la réduction de poste entre 3 et 40 postes pour une moyenne de 12 postes par sites.

Pour l’informatisation de la chaine logistique, ces délégués syndicaux estiment le nombre de suppressions de postes entre 2 et 20 par site pour une moyenne de 6 postes par site. Pour le balisage électronique, ils estiment le nombre de suppressions de postes à 2 en moyenne par site.

Bien qu’il soit difficile de prouver à partir des données disponibles l’impact de l’introduction d’une nouvelle technologie sur l’effectif salarié, la baisse des effectifs dans le format hypermarché et les déclarations des acteurs de terrain sur le lien existant entre les nouvelles technologies et la baisse des effectifs tendent à accroitre sa probabilité. Si la baisse des effectifs n’est pas due à l’introduction des nouvelles technologies, quelle est donc sa cause ?

QUEL EST L’IMPACT DE CES NOUVELLES TECHNOLOGIES SUR L’ORGANISATION DU TRAVAIL ?

Les effets de l’implantation des technologies varient selon les types de technologies.

Les nouvelles technologies relèvent d’une logique d’automatisation des tâches de travail : Plus de 80% des personnes interrogées déclarent que ces nouvelles technologies n’augmentent pas ou réduisent la pénibilité physique des tâches de travail. Dans l’ensemble des magasins visités, les salariés font état de la baisse des douleurs physiques et notamment des TMS depuis l’introduction de ces nouvelles technologies. La délégation des tâches de travail pénibles (scannage, encaissement, manutention) à des machines ou aux clients eux-mêmes réduit mécaniquement la pénibilité physique du travail.

En revanche, plus de 60% des personnes interrogées déclarent que ces nouvelles technologies augmentent le stress des salariés.

Trois facteurs explicatifs sont mis en avant par les salariés.

D’une part, la gestion des dysfonctionnements techniques des nouvelles technologies n’est pas gérée en interne mais déléguée au fournisseur de la nouvelle technologie qui entretient une relation de prestataire de service avec le groupe de distribution. Ceci crée une augmentation du stress car les salariés du magasin n’ont aucun moyen de gérer eux-mêmes les pannes et dysfonctionnements.

D’autre part, des nouvelles technologies comme les caisses automatiques induisent de nouvelles règles d’utilisation dont les clients ne sont pas encore tout à fait coutumiers (dans certains cas, pas plus de 10 articles, pas d’espèces ou pas de chèques). Les caissiers sont chargés de faire appliquer ces règles. Dans certains magasins, une augmentation importante des cas de litiges avec les clients est signalée.

Enfin, la diversification du métier, des tâches et des compétences favorise l’augmentation du stress. L’automatisation des tâches de travail crée donc une forme de montée en compétence, un accroissement des responsabilités et une diversification des tâches de travail qui tend à rapprocher ces métiers traditionnellement non qualifiés des métiers qualifiés.

Les nouvelles technologies relevant d’une logique d’informatisation des flux d’informations et de marchandises Globalement, les nouvelles technologies relevant d’une logique d’informatisation des flux d’information et de marchandises n’ont que peu d’impact sur la pénibilité physique et le stress des salariés travaillant aux postes de travail concernés.

L’informatisation des flux d’informations et de marchandises modifie en revanche considérablement le champ des responsabilités en magasin. Les décisions d’assortiments, d’achats, de merchandising et de volumes commandés appartiennent à présent essentiellement aux structures siège. Aux structures magasin est confié le rôle de mettre en œuvre ces décisions et la responsabilité de maximiser les ventes.

Globalement, les salariés impactés par l’informatisation des flux font état de leur perte de responsabilité liée à la centralisation nationale du contrôle des flux et des prises de décisions et de leur sentiment de déqualification. Ils sont de plus beaucoup plus surveillés et l’augmentation des possibilités de contrôle engendre une responsabilisation individuelle accrue en cas d’erreur sans que celle-ci ne soit doublée d’une possibilité de prise de décision plus importante.

Le voice speaking représente une exception dans ce groupe de nouvelles technologies. Cette nouvelle technologie a entrainé pour 86% des délégués syndicaux une automatisation des tâches de travail, pour 57% une augmentation de la pénibilité physique et pour 86% du stress au travail. 86% d’entre eux ont le sentiment qu’elle altère la santé des salariés.

LES IMPACTS PAR CATEGORIES DE METIERS

L’impact sur les conditions de travail de l’introduction des nouvelles technologies est donc fonction du type de nouvelles technologies mobilisé et de la catégorie de métiers impactée.

 Les emplois d’employés peu qualifiés sont essentiellement impactés par des nouvelles technologies relevant d’une logique d’automatisation des tâches de travail. Leurs métiers tendent ainsi à se réorganiser autour de tâches plus qualifiées, mobilisant davantage de compétences notamment informatiques et servicielles. La problématique de la pénibilité physique tend à céder devant celle de l’accroissement du stress.
 Les emplois qualifiés et d’encadrement sont à l’inverse essentiellement impactés par des nouvelles technologies relevant d’une logique d’informatisation des flux d’informations et de marchandises. La centralisation des prises de décision et l’accroissement des possibilités de contrôle menacent ces métiers de déqualification. L’introduction de ces nouvelles technologies tend ici à limiter la diversité des pour réaliser les tâches de travail des métiers impactés. PRÉSENTATION DES NOUVELLES TECHNOLOGIES L’analyse et les revendications de la FGTA-FO

La FGTA-FO a, depuis plusieurs années, tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences de l’introduction de ces nouvelles technologies sur l’emploi et les conditions de travail. Elle a participé activement au groupe de travail constitué sur ce sujet par l’UNI, son organisation syndicale internationale sur le commerce. Elle a aussi apporté sa contribution aux travaux du BIT (Bureau international du travail) qui a aussi abordé cette problématique.

Le rapport réalisé conforte les analyses et interrogations de la fédération sur l’impact des nouvelles technologies et la conduit à réaffirmer la nécessité d’une ouverture rapide des négociations sur ce sujet.

LES CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS DE LA FGTA-FO

1) Le processus d’introduction des nouvelles technologies dans le secteur du commerce alimentaire est largement engagé.

2) Il suscite des interrogations quant à ses conséquences sur l’emploi, les qualifications et les conditions de travail.

3) Certaines technologies sont encore peu ou pas utilisées mais font néanmoins l’objet d’études et d’expérimentations à échelle réduite, ou dans d’autres pays ou des secteurs voisins. C’est le cas notamment de la RFID.

4) Le rapport réalisé à la demande de la FGTA-FO confirme ces constats.

5) L’introduction des nouvelles technologies doit avoir des conséquences positives non seulement pour les entreprises mais aussi pour les salariés.

6) Comme cette mise en oeuvre est étalée dans le temps, il est possible d’anticiper ces conséquences et de faire en sorte que cet objectif soit atteint. . 7) L’introduction des nouvelles technologies relève, à l’évidence, de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Pour la FGTA-FO, les principes et procédures définis par les accords de branche et d’entreprise sur la GPEC doivent être mis en œuvre et appliqués dans ce cas précis. Á défaut, ce serait l’utilité même des accords sur la GPEC qui serait remise en question.

8) Sur le fond, la Fédération affirme que, pour être acceptable, l’introduction des nouvelles technologies doit se faire sans licenciement. La négociation devra donc examiner toutes les modalités possibles pour pallier aux conséquences d’éventuelles diminutions d’effectifs.

9) La priorité devra être donnée aux reclassements et promotions internes sur les embauches externes.

10) Une approche prévisionnelle doit favoriser le développement des qualifications et l’enrichissement des tâches plutôt qu’une déqualification des métiers. Elle doit conduire à des actions de formation à destination des salariés concernés par ces changements technologiques pour que ceux-ci puissent conserver leurs emplois.

11) Elle devra permettre d’étudier les conséquences de ces changements sur les conditions de travail pour préserver la santé des salariés, éviter l’accroissement du stress au travail et favoriser, au contraire, un allègement de la charge physique et psychique de travail.

12) Une attention particulière devra notamment être consacrée aux aspects ergonomiques, au danger d’une diminution des contacts humains et d’une augmentation des contrôles centralisés.

13) Les gains de productivité réalisés grâce à l’introduction de ces technologies devront bénéficier tant à l’entreprise qu’aux salariés. Des négociations collectives devront déterminer les modalités de répercussion de ces gains sur les rémunérations des salariés.

14) La FGTA-FO s’adressera à la FCD et aux principales enseignes de la grande distribution pour que s’engagent rapidement des négociations sur les conséquences de l’introduction des nouvelles technologies dans le commerce.

Jan 2100