Les 120 ans de la CGT-FO

, par udfo53

Nous reprenons ci-dessous les articles rédigés par deux journalistes de FO HEBDO Evelyne SALAMERO et Mathieu LAPPRAND à l’occasion des 120 ans de la CGT le 28 septembre 2015.

Les 120 ans de la CGT FO retracés dans FO Hebdo

1 - La gestation

La CGT, Confédération Générale du Travail, a eu 120 ans le 28 septembre dernier. Cette CGT, la CGT-Force Ouvrière la continue depuis 1947, année où plusieurs de ses dirigeants et militants décidèrent de faire scission pour défendre l’indépendance de l’organisation. Il revenait à Force Ouvrière Hebdo, héritier du journal Résistance Ouvrière né en 1944 et devenu Force Ouvrière à la scission, de retracer ces cent vingt années d’histoire.

Il aura fallu un peu plus de trois siècles au mouvement ouvrier français pour se développer, s’imposer et s’organiser en une grande confédération. Trois siècles de combats, parfois violents.

 1539 Le roi interdit les compagnonnages Sous l’Ancien Régime, les métiers sont organisés par « corporations », qui regroupent les ouvriers (les apprentis et les compagnons) et leurs patrons (les maîtres). Les premiers compagnonnages indépendants des corporations naissent au XVIe siècle. En 1539, François Ier interdit « à tous compagnons et ouvriers de s’assembler (...) ni d’empêcher de quelque manière que ce soit lesdits maistres de choisir eux-mêmes leurs ouvriers (...) ».

 1791 La Révolution interdit les corporations et... les associations de travailleurs La loi Le Chapelier du 14 juin 1791 interdit les corporations mais aussi, plus largement, toute association ou coalition. Tout au long du siècle suivant, les travailleurs ne pourront pas s’organiser librement face à la révolution industrielle qui s’opère et seront donc plongés dans la misère.

 1830-1831 Les Trois Glorieuses et la révolte des canuts La monarchie a momentanément repris les rênes du pays en 1814. Du 27 au 29 juillet 1830 (les Trois Glorieuses), les ouvriers parisiens se révoltent contre les ordonnances du roi Charles X qui, notamment, suspendent la liberté de la presse et ordonnent la dissolution de l’Assemblée. En octobre 1831, les ouvriers des soieries de Lyon, les canuts, se mettent en grève et manifestent pour un salaire minimum en un mouvement social sans précédent. Neuf cents gardes nationaux passent du côté des insurgés. Le nouveau roi Louis-Philippe envoie 20 000 soldats qui écrasent la révolte dans le sang.

 1848 Le Printemps des peuples Le 24 février, un gouvernement provisoire proclame la IIe République sous la protection des ouvriers parisiens en armes. Il établit le suffrage universel pour les hommes et abolit l’esclavage. Le 28 février les ouvriers envahissent l’Hôtel de Ville et imposent la journée de travail de 10 heures. Mais en septembre, la Constituante annule le décret et en novembre la nouvelle Constitution ne parle pas du droit du travail. Le mouvement ouvrier, qui commençait juste à s’organiser, a perdu la plupart de ses meilleurs éléments, tués, déportés ou contraints à la clandestinité. En se coupant de son soutien populaire, la IIe République s’affaiblit et doit de nouveau céder la place dès 1851, cette fois à Louis-Napoléon Bonaparte.

1871 La Commune Moins de deux mois après leur avoir déclaré la guerre, Napoléon a capitulé devant les Prussiens le 2 septembre 1870. Le 4 septembre, alors que l’armée prussienne est aux portes de Paris, la foule parisienne a proclamé la IIIe République à l’Hôtel de Ville. L’armistice a été signé le 28 janvier. Un an plus tard, le 26 mars 1871, 65 élus parisiens, dont 25 ouvriers, proclament la Commune et se déclarent gouvernement de la France. Les communards, à 80 % ouvriers et artisans, réorganisent l’économie au profit des travailleurs, instaurent l’école gratuite et laïque et adoptent une loi de séparation des Églises et de l’État. Le gouvernement d’Adolphe Thiers ordonne l’écrasement de la Commune. Du 22 au 28 mai, ses troupes font un véritable carnage qui reste dans les mémoires sous le nom de « semaine sanglante ».

 1884-1892 Le début de la liberté d’association et les Bourses du travail À partir de 1876, après la levée de l’état de siège instauré après la Commune, le mouvement ouvrier reprend peu à peu des forces. En 1884, la loi Waldeck-Rousseau autorise les syndicats professionnels (ouvriers et patronaux) tout en les soumettant à des règles de fonctionnement très strictes. En 1892, la création de la fédération des Bourses du travail constitue une étape majeure dans l’organisation interprofessionnelle du mouvement ouvrier.

2 - La naissance

La création de la Confédération générale du travail en 1895 concrétise la double aspiration des travailleurs à unifier leurs organisations jusque-là éparses et à défendre farouchement leur indépendance.

 1895 Le congrès constitutif de Limoges Réunis à Limoges du 23 au 28 septembre, les délégués de la Fédération nationale des syndicats, créée en 1886, et de la Fédération des Bourses du travail de France et des colonies, créée en 1892, décident de constituer ensemble la Confédération générale du travail. Les statuts proclament : « Les éléments constituant la CGT devront se tenir en dehors de toutes les écoles politiques. La CGT a exclusivement pour objet d’unir, sur le terrain économique et dans les liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale. » La CGT se constitue donc en opposition aux partisans de Jules Guesde, qui subordonnaient l’action syndicale à l’action politique et avaient officiellement quitté le mouvement syndical en 1894. Le syndicalisme indépendant, incarné notamment par l’anarcho-syndicaliste Fernand Pelloutier, créateur de la Fédération des Bourses du travail et partisan de la grève générale « émancipatrice », a gagné. La CGT naissante fédère 18 Bourses du travail, 26 chambres syndicales et 28 fédérations syndicales, soit 300 000 travailleurs.

 1898-1906 Repos le dimanche, journée de dix heures... Les premiers acquis Si les patrons raillent publiquement la faiblesse numérique de la jeune CGT, ils comprennent vite que la centrale ouvrière représente en réalité une force beaucoup plus importante et que des travailleurs non syndiqués répondent de plus en plus nombreux aux appels à la grève de ses syndicats. Le patronat et les pouvoirs publics doivent donc faire des concessions. La loi sur les accidents du travail est adoptée en 1898, la journée de 10 heures instaurée en 1900 et le repos hebdomadaire du dimanche en 1906.

 1906 La charte d’Amiens réaffirme et codifie l’indépendance syndicale Onze ans après sa fondation, la CGT a plus que doublé le nombre de ses adhérents. Elle en compte désormais environ 800 000. Les grèves se multiplient. Le 8 octobre 1906, à l’ouverture du congrès d’Amiens, le guesdiste Victor Renard dépose une motion demandant une collaboration étroite entre la CGT et le Parti socialiste. Elle est rejetée (724 voix contre, 34 pour et 37 abstentions). Le congrès se conclut au contraire par l’adoption d’une charte (830 voix pour, 8 contre et 1 abstention) qui reprend l’article 2 des statuts : « La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat », complétant : « l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du mouvement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe en dehors ».

 1906, 1947, 1969 : Un fil rouge : l’indépendance L’adoption de la charte d’Amiens en 1906 (lire ci-dessus) puis la scission de 1947, qui aboutit à la création de la CGT-Force Ouvrière, résultent du choix de l’indépendance vis-à-vis des partis. En 1969, l’appel à voter non au référendum du général de Gaulle, lancé par le congrès de Tours de la CGT-FO, découle de la volonté de rester indépendants vis-à-vis de l’État. Le général de Gaulle veut instaurer un sénat où siégeraient des représentants des confédérations syndicales et promouvoir la régionalisation. Le secrétaire général André Bergeron déclare notamment : « Certains se croient en mesure de tirer des conclusions en évoquant notamment l’association capital-travail. Nous savons trop où cela mènerait. Le mouvement syndical est majeur. Il se détermine au sein de ses instances régulières (...). » Le non l’emportera et le général De Gaulle devra démissionner. C’est la seule fois où la CGT-FO a dérogé à sa règle de ne donner aucune consigne de vote lors de scrutins politiques.

3 - Grandir dans la tourmente

Cette CGT, la CGT-Force Ouvrière la continue depuis 1947, année où plusieurs de ses dirigeants et militants décidèrent de faire scission pour défendre l’indépendance de l’organisation. Il revenait à Force Ouvrière Hebdo, héritier du journal Résistance Ouvrière né en 1944 et devenu Force Ouvrière à la scission, de retracer ces cent vingt années d’histoire.

Durant la première moitié du XXe siècle, le mouvement syndical est confronté aux guerres, à la crise économique de 1929… et aux premières scissions. Mais il saura aussi, pendant cette période troublée, conquérir de nombreux droits.

 1914 La Première Guerre mondiale Jusqu’à l’été 1914, le mot d’ordre ouvrier reste « Guerre à la guerre » et « Grève générale contre la guerre du grand capital ». Mais les conflits dans les Balkans et l’attentat de Sarajevo le 28 juin 1914 vont brusquement faire basculer l’Europe dans la guerre. Le 29 juillet, la confédération appelle à une manifestation, interdite par le gouvernement. Jaurès est assassiné deux jours plus tard et le lendemain la mobilisation générale est décrétée. La CGT ne sera pas en mesure de s’y opposer.

 1919 La journée de 8 heures En 1884, les syndicats américains se donnent deux ans pour imposer une limitation de la journée de travail à 8 heures. Cette revendication est reprise en France dès 1886. Mais ce n’est que trente années plus tard, le 23 avril 1919, sur proposition du gouvernement Clemenceau, qui craint une grève générale, que le Sénat français ratifie la loi des 8 heures. Une décision motivée aussi par l’afflux de main-d’œuvre provoqué par le retour des hommes du front, qui fait redouter une montée du chômage d’autant plus que les femmes, qui ont pris leur place durant le conflit, souhaitent continuer à travailler.

 1919-1921 La fin de l’unité syndicale Inspirée par l’encyclique Rerum Novarum (1891) du pape Léon XIII, la Confédération française des travailleurs chrétiens est créée en 1919. Ses troupes se recrutent parmi les employés, les cheminots, dans le textile et les mines. Elle se prononce pour la collaboration de classe et contre la grève générale. Au congrès de Lille, en juillet 1921, la CGT se divise en deux motions qui se heurtent violemment. La tendance majoritaire, représentée par Léon Jouhaux, l’emporte sur celle des syndicalistes ralliés à Moscou. Refusant d’accepter le verdict du congrès, la minorité provoque une rupture et c’est la première scission syndicale : face à la CGT apparaît la CGT-U (Confédération générale du travail unitaire). Il y a désormais trois centrales syndicales en France.

À la suite d’un scandale financier, l’affaire Stavisky, une manifestation fasciste devant la Chambre des députés tourne à l’émeute sur la place de la Concorde le 6 février 1934. La CGT décide d’appeler à une grève générale le 12, pour la défense des libertés démocratiques et du régime républicain. Cette journée marque un premier rapprochement avec la CGT-U, qui a également appelé à la grève générale.

 1936 Les acquis du Front populaire Le congrès de Toulouse, en mai 1936, entérine la réunification entre la CGT et la CGT-U. Fusion qui consacre le syndicalisme traditionnel : autonomie du mouvement, refus de toute emprise politique. L’ampleur exceptionnelle des mouvements de grève de juin 1936, les occupations notamment, a permis des conquêtes inenvisageables quelques semaines plus tôt : augmentation générale des salaires de 7 à 15 %, création des délégués du personnel élus, semaine de 40 heures, congés payés, conventions collectives généralisées. Autant de victoires qui provoquent une ruée vers les syndicats dans les mois qui suivent.

 1945 La Libération et la création de la Sécurité sociale À la Libération, la CGT se réinstalle dans l’immeuble dont elle avait été dépossédée et s’ouvre largement aux travailleurs de toutes tendances. À nouveau les effectifs montent, 5 millions d’adhérents en 1945, 6 millions en 1946. Les syndicats arrachent l’instauration des ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 qui mettent en œuvre la Sécurité sociale, en reconnaissant aux salariés le droit de gérer leurs propres cotisations. La mise en place de la couverture du risque maladie, du risque vieillesse ainsi que les allocations familiales va bouleverser la vie de millions de salariés.

4 - L’âge mûr : le – vrai – réformisme

Des acquis des Trente Glorieuses aux combats contre les régressions, de la crise pétrolière aux crises financières, le syndicalisme se poursuit sans perdre de vue l’essentiel : le combat pour les intérêts des salariés.

 1947 La grande scission Le 19 décembre 1947, Léon Jouhaux et les syndicalistes « confédérés » démissionnent du bureau confédéral de la CGT. Depuis la Libération, au sein de la CGT, « la machine à broyer communiste était en marche », selon les termes d’André Viot, premier rédacteur en chef de Force Ouvrière. En septembre 1946, alors que les communistes contrôlent près de 80 % de la CGT, les confédérés s’organisent en fondant « Les amis de FO », puis en délivrant des cartes à ce nom. Les confédérés quittent la CGT. Pour Robert Bothereau, « Nous n’avons pas accepté le rôle d’otages que l’on voulait nous assigner. “ La CGT continue ”, ont dit ceux qui se sont installés à son siège. Nous qui avons dû en partir, nous disons : “ Nous continuons la CGT ”. »

 11 février 1950 La loi sur la négociation collective Créées après la Première Guerre mondiale, les conventions collectives sont longtemps restées marginales, ne couvrant que 4 % des salariés en 1934. En décembre 1946, une loi sur les conventions collectives est votée qui subordonne l’entrée en vigueur d’une convention à l’agrément du ministre du Travail. C’est un coup de barre interventionniste. Pour la jeune confédération Force Ouvrière, il est indispensable de relancer les négociations conventionnelles. Le succès de la grève interprofessionnelle du 25 novembre 1949, lancée par FO pour le rétablissement de cette liberté de négociation, sera décisif et ouvre la voie à la loi de 1950 qui abolit l’agrément ministériel et rétablit la possibilité de négocier des clauses relatives aux salaires.

 31 décembre 1958 Création de l’Assurance chômage C’est dans un contexte de plein emploi que FO, la CFTC et la CGC signent avec le CNPF la création de l’Assurance chômage pour les salariés de l’industrie et du commerce. Le mécanisme d’indemnisation est mis en place hors du cadre de la Sécurité sociale, contre le souhait de la CGT qui refuse initialement de prendre part aux négociations. Les Assedic assurent la gestion opérationnelle du système d’indemnisation, tandis que son pilotage est assuré par l’Unédic.

 1969 Référendum, appel exceptionnel de FO à voter non Le référendum convoqué par le président de la République sur « le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat » a lieu le 27 avril 1969. La proposition de mise en place d’un sénat économique et social, intégrant des représentants syndicaux, a exceptionnellement conduit la confédération à appeler à voter non à ce scrutin. Le non qui sort des urnes conduit de Gaulle à la démission.

 1995 Retraites, la grève fait reculer le gouvernement « La défense de la Sécurité sociale mérite une grève générale interprofessionnelle », dès janvier 1995, c’est l’avertissement lancé par Marc Blondel, secrétaire général de FO. Dix mois plus tard, lors d’une manifestation contre le plan Juppé sur les retraites et la Sécurité sociale, le 28 novembre, alors que la CFDT s’est rangée du côté du gouvernement, Marc Blondel et Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, se serrent la main. Les manifestations se succèdent. L’activité de la RATP et de la SNCF est paralysée durant trois semaines. Le 15 décembre le gouvernement retire sa réforme des retraites mais maintient celle de la Sécurité sociale, dont le budget sera désormais voté annuellement par le Parlement. Lors de ces mobilisations, la Dares a décompté 5 millions de jours de grève.

 2006 Retrait du Contrat première embauche (CPE) Adoptée via l’article 49-3 de la Constitution le 8 février 2006, la loi instituant le contrat première embauche (CPE : un sous-contrat de travail pour les jeunes de moins de 26 ans) n’aura jamais été mise en œuvre. Durant plusieurs semaines, une forte mobilisation de la jeunesse qui va crescendo, soutenue en première ligne par FO et plusieurs jours de grèves interprofessionnelles, obligera Dominique de Villepin à renoncer à l’application de sa loi le 10 avril.

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Le parcours international

Très tôt, les travailleurs ont cherché à s’organiser internationalement sur le plan strictement syndical. L’ITF (Fédération internationale des ouvriers du transport) a ainsi été créée en 1896. La Fédération syndicale internationale (FSI), qui regroupait tous les secteurs professionnels, est née à Zurich en 1913 et a été reconstituée après la guerre, en 1919, à Amsterdam, en opposition à ceux qui créeront, en 1921, le Profintern, l’Internationale syndicale rouge. En 1945, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la FSI se fond dans la FSM (Fédération syndicale mondiale) qui vient d’être créée à Londres et sera très vite inféodée à Moscou.

La scission, aussi

En 1949 une scission s’opère, reflet de celle qui s’est produite deux ans plus tôt en France et qui a donné naissance à la CGT-FO. Plusieurs affiliées, dont la CGT-FO, fondent la CISL (Confédération internationale des syndicats libres). Après la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, la CISL, qui revendique déjà 99 millions de syndiqués organisés dans 144 centrales de 101 pays, va accueillir les nouveaux syndicats indépendants éclos dans les pays de l’Est et plusieurs de ceux qui quittent la FSM. La CGT française sera une des dernières en Europe à s’en désaffilier en 1995, sans adhérer à la CISL. En 2006, la CISL est désormais l’organisation syndicale internationale de loin la plus importante. Elle prend l’initiative de sa transformation en CSI (Confédération syndicale internationale), englobant les syndicats chrétiens de la CMT (Confédération mondiale du travail). La CGT-FO en garde le statut de membre fondateur, la CGT ayant été invitée à s’y affilier à ce moment.