Harcèlement Moral

, par udfo53

« Des méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique », des pratiques managériales pouvant « altérer » la « santé physique ou mentale »... La Cour de Cassation se devait d’intervenir alors que se multiplient dans les entreprises les cas de pression maximum afin d’obtenir toujours plus de la part des salariés. Ou de s’en débarrasser.

Le harcèlement moral, introduit dans l’arsenal juridique en 2002, fait de nouveau parler de lui...et ce n’est pas fini ! Que ce soit dans les médias, notamment au travers des suicides chez France Telecom, ou dans les prétoires, le harcèlement moral est sur toutes les lèvres (art. L.1152-1 et s. du C. du trav.).

Sujet hautement sensible, la Cour de cassation a décidé, le 24 septembre 2008, de reprendre le contrôle de la qualification du harcèlement dans l’optique de mettre un terme aux interprétations contradictoires des Cours d’appel (Soc. 24-9-08, n°06-46.517, n°06-45.747, n°06-45.794, n°06-45.579, n°06-43.504). La Haute Cour a précisé, dans le même temps, le régime de la preuve du harcèlement afin d’être en mesure d’exercer son contrôle. Ces décisions ont été commentées dans une précédente chronique juridique datée du 25 octobre 2008 (disponible sur le site Force ouvrière).

Depuis 2008, les magistrats n’ont pas chômé et n’ont eu de cesse de clarifier la notion de harcèlement moral. Au fil des arrêts rendus, cette notion se redessine peu à peu et tend à se détacher de plus en plus de l’individuel.

Pour preuve, dans un arrêt du 10 novembre 2009, la Cour de cassation a admis que « des méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement » (Soc. 10-11-09, n°07-45.321). Une pratique managériale, une organisation particulière de travail peut constituer un harcèlement moral « dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Si un contexte général peut être source de harcèlement, les juges doivent toujours vérifier que le salarié a subi ces méthodes particulières. Le licenciement régulièrement prononcé pour inaptitude est nul s’il est démontré que l’inaptitude était la conséquence d’un harcèlement moral (Soc. 24-6-09, n°07-43.994). Tenu à une obligation de sécurité de résultat, l’employeur ne peut pas, pour s’exonérer de sa responsabilité, invoquer avoir pris des mesures pour faire cesser le harcèlement. Sa responsabilité est engagée dès lors que le harcèlement s’est révélé, même s’il n’est pas l’auteur des faits fautifs (Soc. 21-6-06, n°05-43.914). En la matière, la prévention est la règle d’or ; le CHSCT ne doit hésiter à demander l’inscription dans le document unique de la question du harcèlement. Sujet hier tabou, cette question ne peut plus être laissée de côté par les entreprises sous peine d’être poursuivies pour faute inexcusable.

Dans une décision du même jour, la Cour de cassation a précisé que l’intention de nuire n’est pas exigée pour la reconnaissance du harcèlement. « Le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dés lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel » (Soc. 10-11-09, n°08-41.497). Les juges du fond ne peuvent donc écarter le harcèlement moral au motif que l’employeur n’a pas eu d’intention malveillante.

A l’occasion d’autres arrêts rendus au premier semestre de cette année, les Hauts magistrats ont indiqué que :

 le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis. Tout licenciement prononcé en méconnaissance de cette règle est nul (Soc. 10-3-09, n°07-44.092) ;

 les juges ne peuvent rejeter la demande du salarié au seul motif de l’absence de relation entre l’état de santé et la dégradation des conditions de travail (Soc. 30-4-09, n° 07-43.219). En effet, la loi n’exige pas, pour que le harcèlement soit reconnu, qu’il y ait systématiquement une altération de l’état de santé. Le juge se doit de prendre en compte l’ensemble des éléments présentés par le salarié qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral (Soc. 10-11- 09, n°08-44.297) ;

 les juges ne peuvent ordonner, à la demande d’autres salariés, la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié harceleur. Ils ne peuvent que renvoyer l’employeur à ses obligations tirées de l’article L.1152-4 du Code du travail (Soc. 1-7-09, n°07-44.482).

Compte tenu des modes d’organisation du travail qui déstructurent complètement les salariés et des politiques de management prônant la rotation permanente du personnel et le rajeunissement des populations cadres, le contentieux lié au harcèlement moral risque très fortement d’exploser dans les années à venir, aidé en cela par la Cour de cassation. L’émergence du concept d’obligation de sécurité de résultat pesant sur les employeurs redessine complètement la notion de harcèlement, poussant les entreprises à prendre plus sérieusement en compte les risques psychosociaux.